Blog
- Méditations - La
voix - Démoparty - La
techno - Je est un autre
VERTICALE : UN FUTUR D'AUJOURD'HUI
HORIZONTALE : LA PASSION
Une Démo-Party, qu'est ce que c'est ?
Un évènement ayant lieu pendant un week-end de trois jours,
dans un grand local : généralement une salle de fête ou
une salle polyvalente, couverte de tables et de chaises,
elles même recouvertes jusqu'à la moindre parcelle, d'ordinateurs,
de câbles qui se rejoignent et s'entrecroisent en tous sens,
de disquettes, de cd roms, de tournevis, de manettes de
jeu, de consoles. Devant toute cette débauche de matériel
se tiennent des fondus, des mordus d'informatique, de programmation,
de graphisme, d'infographie.
La raison officielle de la réunion est un concours: de programmation
de visuels, d'images de synthèses, de musiques électroniques,
ainsi que de jeux en réseaux. Dix à vingt pour cents des
gens présents y participent. Les créations, souvent réalisées
sur le lieu même et pendant la durée de l'évènement sont
destinées à être projetées sur grand écran le dernier jour,
pour que la salle puisse voter et élire les meilleures de
leur catégorie.
Les autres sont là pour le plaisir, pour les rencontres,
les échanges et pour l'ambiance en elle-même. Trois jours
non-stop pour se retrouver en famille de passionnés. Une
salle de repos est toujours là pour que les gens raisonnables
puissent se reposer quelques heures. Les autres tournent
au café, aux bouteilles de coca offertes par le supermarché
du coin ( une par participant ) ou au thé - et finissent
généralement par s'écrouler dans un coma profond sur leur
clavier, ou la tête appuyée sur l'écran -. Pendant ce temps,
l'écran géant projette continuellement des démos.
La démo est la catégorie reine des créations : c'est une
sorte de court-métrage informatique d'une demi-douzaine
de minutes, réunissant de nombreux effets visuels régulièrement
psychédéliques et d'une musique ( ou effets sonores ) donnant
la cadence au virevoltage des images : des tunnels infinis,
des poissons qui dansent, des plongeons dans des forêts
de couleurs, des courbes qui évoluent laissant apparaître
des dessins fugitifs bientôt remplacés par d'autres, des
paysages féeriques se dévoilant dans une aurore virtuelle
au son de petites clochettes, des routes où l'on fonce vers
le soleil, des batailles de centaines de vaisseaux spatiaux
sur des sonorités graves de musique classique, d'incrustation
de sa propre photo dans un univers rotatif où les dents
sont toujours brillantes, d'histoires où le destin de la
terre et de la galaxie ne tiennent qu'à un fil, et d'autres
toons mutagènes battant la cadence d'une musique disjonctée.
Les démos sont une belle démonstration de la beauté des
mathématiques et des charmes de la trigonométrie. L'origine
d'un objet représenté en trois dimensions sur un écran plat,
sera toujours Pythagore. Il est superbe de voir un dessin
sur lequel passe une simulation de liquide : ce ne serait
pas possible sans des formules de distorsion optique, si
les vecteurs n'avaient jamais étés inventés. Et l'on remercie
les racines carrées lorsque ondulent sous nos yeux des lignes
colorées, dansant artistiquement dans une légère rémanence.
Quel merveilleux univers que l'informatique qui permet à
toute personne un peu motivée, de réaliser son propre film
à grand spectacle, de faire vivre un univers tout droit
sorti de son imagination. Son "Alien" ou "Terminator 2"
de dix minutes, construit en trois jours grace à la connaissance
et l'expérience acquise d'un ou deux logiciels de création
tridimensionnelle, ou de programmation. Parmi la foultitude
de programmes le permettant il suffit d'en choisir un et
de s'y mettre ; généralement en fonction de l'attirance
de son interface, ou alors d'un hasard : ce sera le premier
qu'on aura eu de ce genre, et une fois qu'on le connaît
bien - mais que l'on n'a pas encore atteint ses limites
-, on n'a pas envie d'en changer, mais on pourra en trouver
d'autres qui le complèteront. Ces logiciels permettent de
devenir son propre "Maître de l'Image", dans une société
où elles nous sont imposées à tire-larigot, dans un monde
ou le choc visuel est une arme de combat commercial autorisée,
où le design est un cheval de bataille. Où son contrôle
est signe de force, de puissance, où la télé est un formidable
moyen de contrôle de la population ( par l'information,
la désinformation et pire, la non-information : "ce qui
est dit est vrai" ; "ce qui n'est pas dit n'existe pas,
ou n'est pas digne d'intérêt" ) . Se rendre compte que l'on
maîtrise cette force et que l'on joue avec pour son propre
plaisir, rend joyeux et confiant en soi : qu'on projette
une démo déjà très bien réalisée en elle-même ( les spectateurs
se disent déjà "qu'est-ce qu'on est fort !" ) , et qu'elle
fasse en plus une reprise-clin d'œil heureux à un grand
film à succès, pour que la salle s'élève en éclat de rire,
puis en tonnerre d'applaudissements.
Une démo party est un potentiel fantastique, un énorme réservoir
d'idées, de créativité, de passion, d'éclats, de nouveautées,
de découverte. De présentation de ses propres créations,
du spectacle de celles des autres. Du plaisir d'être entre
connaisseurs. Des rencontres entre vieux routards s'opèrent
devant une machine ayant dix ans d'âge, surdépassée, qui
est là dans le cadre d'une exposition "l'histoire de la
micro". Elle date déjà de l'âge de pierre, mais on y a fait
ses débuts. Ses premiers ébats informatiques. Ses premières
lignes de programmation. On se retrouve tels de grands enfants,
à se battre pour avoir le clavier et retrouver la magie
de ces premiers instants, où après avoir
rentré quelques lignes de code, l'écran se mettait à vivre,
à dessiner des spirales et fractales mathématiques en 16
couleurs ( performance qui nous émerveillait à l'époque
) et d'une musique horriblement électronique, ou le la,
le ré, et le do ressemblent tous à "bip". Simultanément,
on garde un œil sur l'écran où les couleurs se comptent
désormais par millions, en musique multistéréophonique 32
voies... Et l'on sait que ce n'est pas fini, que la ligne
d'évolution qui joint le vieux Thomson TO7 70 sur lequel
on est, à l'ordinateur qui diffuse pour l'assemblée passe
derrière le mur, et continue dans le futur. Que cette évolution
n'est pas prête de s'arrêter, et que nous sommes immergés
dans ce flot le temps d'un week-end. On prend plaisir devant
ce vieux coucou à se remettre dans la peau de l'enfant qui
n'osait imaginer voir des productions d'une telle qualité
avant la fin de sa vie ; que le présent a dépassé toutes
nos anciennes espérances, et même celles de grands écrivains
de science-fiction et d'anticipation, qui prévoyaient pour
dans deux cent ou cinq cents ans des machines dépassées
depuis six mois. La technologie, les performances, la puissance,
le réalisme, la vitesse ne cessent d'évoluer, et l'on vient
dans ce genre de lieux pour s'en rendre compte en avant
première, pour s'en enivrer par la forte concentration de
futur technologique au m2.
Une démo party est un paysage de rebellion informatique,
de pirates, de "hackers", où l'on se prête et s'échange
à l'envie des Cd Roms remplis de Cd Audio complets et compressés.
D'artistes du monde entier, de musiques de films, de tubes.
Quelques secondes avec le Cd Rom dans son lecteur, et dix
albums se retrouvent stoqués sur son disque dur en l'espace
d'une petite minute, avec un son de qualité numérique. C'est
de la copie cassette à la puissance dix. Ce genre d'échange
est un vrai résumé d'Internet. Toutes les données de ces
Cd que l'on se prête en proviennent directement. De se rencontrer
physiquement élimine les contraintes de temps de téléchargement
et offre un choix fantastique en un minimum de temps de
recherche. Une représentation physique et de masse du comportement
de millions d'internautes, de "pirates". Le terme n'est
pas parfaitement approprié. Un vrai pirate les appelle de
simples copieurs de Cd. Il va sans dire que les logiciels
informatiques, et jeux de toutes sortes n'échappent pas
à cette règle. La technique est facile, cela aidant cette
énorme expansion au niveau mondial. Néanmoins l'argent ne
rentrant plus dans les poches des grosses majors de disques
passe désormais dans celles des constructeurs et fabricants
informatiques qui permettent cela et le développent. Des
requins ont réussi à l'être plus que d'autres sur le terrain
de la chasse au consommateur, du combat de marché, de la
mode, de la récupération des comportements humains à son
profit. D'autres commerciaux de tout poil se disent : Alors
comme ca on va beaucoup sur Internet pour truander ? Il
faut vite y mettre de la pub ! Le malheur des uns fait le
bonheur des autres... qui est parfois le même quand on voit
le département hi-fi d'une grande major de disque, proposer
son propre graveur Cd... mais n'en faisant pas trop de publicité,
que ceux qui doivent l'acheter soient ceux qui sont déjà
au courant de la chose, et non pas ceux qui achètent encore
des originaux... histoire de récupérer de l'argent des deux
côtés de la chaîne. Les utilisateurs ont l'impression d'être
les intermédiaires, les pions tactiquement indispensables,
juges de la décision de l'ouverture de leur porte-monnaie,
ceux pour qui ont se bat... C'est l'impression que l'on
a lorsque tout au long de la party, les moniteurs crachent
de ci de la - chaotiquement et sans concertation préalable
- des tubes des Spice Girls, des vidéo clips des Guignols
de l'Info, une chanson de Queen ; de Gloria Gaynor ou des
génériques de films connus. Le sentiment que si l'on essaye
de nous mettre de force des chansons dans la tête pour nous
y accoutumer, pour nous en imprégner, par de fins dealers
internationaux, on se rend capables de contourner la filière
classique et d'en profiter parallèlement. Enfermé dans une
petite boîte remplie de circuits imprimés, même du U2 deviendrait
presque écoutable : pour le symbole, et non pas pour sa
qualité musicale. Un retour aux sources : de la musique
en boîte, diffusée en boîte, finissant en boîte. Les démos
et diverses productions ne se lassent d'ailleurs pas de
se moquer et de parodier les différents symboles et clichés
de ce genre musical, de leurs clips moulés et produits en
chaîne.
Les écrans ne diffusent pas que des produits de basse qualité
: à côté, on peut entendre et voir d'autres moniteurs de
participants, diffuser ce que LA SCENE ( tel que l'on nomme
la réunion des différents acteurs de ce milieu, ou plus
explicitement la "scène démo" ) considère comme des valeurs
sures, comme des références. Des musiques de vieilles démos
dont tous les initiés se souviennent avec une larme à l'œil,
se rappelant avec émotion de sa première visualisation.
Des démos ayant marquées leur époque par une technique,
une musique ou un design révolutionnaire, que l'on s'est
repassées de nombreuses fois en se demandant "mais comment
ils ont fait ?!!?". Que l'on en diffuse une et son voisin
de face ou de derrière se retournera en disant : "Ah ! State
of the Art ! C'est juste la musique ou la démo entière ?";
et comme on se sent entre connaisseurs, d'en lancer une
autre pour le tester, en l'interrogant du regard pour qu'il
vous réponde après deux secondes d'hésitations : "Euh...
Nine fingers !".
C'est une véritable micro-culture comme il y en a dans toutes
les passions et chez beaucoup de collectionneurs. Une culture
alternative croisée à la culture générationnelle ( où l'on
peut rencontrer de nombreuses personnes connaissant Dead
Can Dance ) . La copie devient alors un moyen de perpétuer
le souvenir : une heure de présence dans une telle salle
permet d'entendre et de voir une moyenne de dix génériques
de notre enfance tels que "Les citées d'or", "Cat's Eyes",
"La minute d'Hitchcok", "X-Or", "Bioman", "Les inconnus",
"La guerre des étoiles", "Albator", "Tom Sayer", et tant
d'autres sauvés de l'oubli par leur digitalisation, leur
numérisation et leur accessibilité à la portée d'un simple
clic. C'est un moyen de survie d'une culture destinée à
mourir, mais dont on souhaite l'immortalisation car elle
fait partie de notre passé. D'entendre ces ancêtres s'exprimer
de partout et régulièrement leur redonne une vie réelle.
Sans ces techniques, il serait nécessaire de payer ou de
retrouver les cassettes vidéo, leurs numéro de série, de
s'organiser de fastidieuses séances magnétoscope. Alors
que désormais, quand on le désire, un simple double clic
sur le fichier "Boubouman - Episode N°7" suffit à le faire
démarrer illico presto, sans temps d'attente ni rembobinage.
Si l'on en a marre, un autre clic suffit à l'interrompre.
L'ordinateur permet de se construire sa propre encyclopédie
multimédia personnelle. D'y stocker nos références, nos
séries cultes, une partie de notre histoire. Sous la forme
de vidéos, de musiques, de textes ou d'images. La machine
devient alors un reflet de nous même, une image de soi.
Impression amplifiée par la présence dans son disque dur
de nombreuses œuvres personnelles de tout type : des dessins,
des photos souvenirs, des archives, des mondes virtuels
entiers. Cela induisant chez certains un comportement fétichiste,
ayant horreur que quelqu'un d'autre touche à sa machine,
de peur d'un accident de manipulation. L'objet devient précieux,
un jardin secret jardiné consciencieusement. Voir un inconnu
venir admirer nos plates-bandes en s'emparant de la souris
et vous demandant : "Alors, qu'as tu de beau ?" peut horripiler.
Celui ci, prudent - et respectant ce caractère - vous demandera
rapidement si vous n'en faites pas ce caractère.
Ce
genre de réunions est l'occasion de voir des machines improbables,
fonctionnant par une opération du Saint Esprit au vu du
dénudement des câbles. Cette colonne vertébrale de l'ordinateur,
son vecteur d'électricité indispensable exposé à la poussière,
à l'électricité statique, aux mauvais coups, mais qui fonctionnent...
ou pas. Si un jour vous voyez quelqu'un penché au-dessus
d'un bloc en métal creux remplis de petits réseaux de fils
de toutes les couleurs, en train d'y agiter frénétiquement
un papier ou un journal , ne le prenez pas pour un fou :
son processeur aura été victime d'une légère surchauffe,
et il sera en phase d'accélération manuelle de la procédure
de refroidissement, pour pouvoir la rallumer au plus vite.
Cette architecture permet néanmoins de modifier les entrailles
de sa machine facilement. Une optique de bricoleur, qui
modifie et surmodifie ses périphériques régulièrement, y
ajoutant de nouveaux lecteurs, changeant de carte graphique
aux besoins, branchant et débranchant régulièrement scanners,
disques durs, graveurs cd, modems. Tant de petites extensions
censées venir se loger à l'intérieur de l'ordinateur ; mais
quand il n'y a plus de place, on se trouve obligé d'éradiquer
le boîtier d'origine, ou d'en reconstruire un en carton
et en bois par exemple..., ou dans une valise contenant
tous les accessoires nécessaires dans les poches latérales.
On croise régulièrement dans les allées des machines personnalisées
par leur peinture fluo, en tenue de camouflage, ou recouvertes
de surfaces brillantes, d'autocollants, de tags.
Le système de la copie est aussi pratique qu'une boîte de
Pandore : quand on donne, on ne perd rien. Juste un peu
de temps et d'attention pour récupérer son cd. L'information
croit et se démultiplie continuellement. Il arrive d'entendre
une exclamation du genre : "Oh ! Un original ! Mon Dieu
! Ce n'est pas un cd jaune ! Tu es sur que tu n'as pas fait
une reproduction de la jaquette ? Qu'il est joli le petit
!". On est tout au plaisir de se sentir plus malin que la
société. On se le permet car on sait l'expansion incontrôlable,
la tranquillité et l'impunité garantie. Si les juristes
et politiques du monde entier ne sont pas prêts d'aboutir
à un accord juridique commun, les consommateurs eux, se
sont déjà tous unis dans la copie. Il existe entre tous
les rebelles une fraternité qui n'existe pas du côté de
ceux qui dirigent et imposent. Si tous les gouvernements
n'agissent et ne gouvernent pas de la même manière, ceux
qui les subissent sont tous d'accord que ce n'est pas la
bonne. Tous les rebelles sont les mêmes. C'est une fois
qu'ils ont gagné qu'ils se battent entre eux.
C'est un milieu qui vous détecte un appareil photo numérique
au doigt et à l'œil. Ce doit être le bip au moment du flash
qui leur met la puce à l'oreille...
Les nuits sont les meilleurs moments d'une party... la salle
plongée dans le noir, éclairée par le projecteur diffusant
des démos non-stop et l'écran des moniteurs de ceux qui
ont choisi de veiller, ou qui le doivent : devant rendre
leur production avant le matin, sept heures, dernier délai,
ils bossent toute la nuit les yeux penchés sur leur moniteurs,
ou dans le viseur d'une caméra prêtée par le voisin
pour l'occasion. Le lieu est plus calme, le chaos de musiques
diverses s'est apaisé... elles sont désormais moins nombreuses,
moins fortes, et donc plus distinctes dans la pièce. Environ
la moitié des participants restent alors, embarqués ensemble
dans le bateau de la passion, sur les flots de la nuit,
noire comme ceux de café et de coca ingurgités... quand
la buvette n'est pas fermée. D'où des rassemblements autours
des ampoules hautes de celle ci pour se lamenter en cœur
sur cet horrible malheur, sur cette situation catastrophique
:) .
Un smiley est à regarder la tête penchée sur la gauche,
et l'on peut alors y voir une face souriante, les deux points
sont les yeux, le tiret le nez, et la parenthèse est la
bouche ; par exemple :-) Régulièrement utilisé sur Internet
pour compenser, pour adoucir un propos qui pourrait être
mal interprété, pour symboliser la joie ou quelque chose
de rigolo. Déjà régulièrement utilisé en dehors de ce média
entre personnes qui savent qu'elles vont se comprendre.
C'est un symbole linguistique universel, une aide à la communication
inter-langues si courante sur le net. Il est comme un langage
des signes écrit. Dans la vie courante, la rencontre de
deux étrangers baragouinant l'anglais conduit généralement
à utiliser le langage animal qui est celui de l'expression
corporelle, des attitudes, des grimaces caricaturales. De
se faire comprendre par la manière de les dire. Internet
a réinventé cela par écrit et :-) est donc joyeux, :-( triste,
;-) fait un clin d'œil, :*/ a la larme à l'œil, :-* fait
un bisou et : # a trop bu hier soir... Si Internet prend
vraiment l'ampleur qu'on lui prédit, le smiley pourrait
s'implanter comme ponctuation internationale, au même titre
qu'une virgule ou un point.
Justement, lorsque au cours de la nuit, le manque de présence
autour de soi donne envie de se regrouper, on se retrouve
ensemble, chacun sur sa propre machine mais sur un même
forum de discussion, en temps réel, ou l'on rencontre des
coréens, des canadiens, des suédois, des australiens, des
africains. Comme tous les humains quand ils se retrouvent
dans la pénombre, les voisins de tables se regroupent autours
des lumières de la vie : celle de son moniteur, des LEDs
et voyants rouges, jaunes et verts de son Unitée Centrale,
ceux de son modem, petits indicateurs de la présence d'une
porte - quasi dimensionnelle - grande ouverte sur le monde.
Alors que nous sommes physiquement enfermés dans une grande
pièce gardée à l'entrée par un vigile de nuit, dans une
ville endormie, aux côtés d'autres qui ont étés courageux,
mais qui vaincus par deux jours de veille, sont la tête
assoupie sur leur console éteinte.
A quoi voit-on qu'un démo-maker est endormi ? Quand sa machine
est éteinte. Celles qui le sont avec tout leur matériel
encore étalé, et qui ne servent pas d'oreillers, témoignent
que leur propriétaire est monté à l'étage pour se recharger
dans une position plus confortable, dans un duvet pour ceux
qui ont pensé à tout, ou dans leur voiture. C'est l'occasion
de rencontres dans la fraicheur de l'extérieur, et du réconfort
d'une pause cigarette devant la porte ( tapissée d'ailleurs
au matin d'un monceau de petits bouts de papiers jaunes
), de se dire que tant qu'on est là, autant causer : "alors
tu tourne sur quoi toi ?", "tu utilises quels logiciels
?", "tu connais celui là ?", et la conversation de tourner
rapidement sur d'autres sujets, et de découvrir par l'occasion
quelqu'un d'intéressant, avec lequel on a d'autres points
en commun. D'appeler le vigile pour pouvoir rentrer, de
se faufiler dans la salle, de voir la buvette ouverte, de
s'offrir le café tant espéré,
de retourner dans la salle principale toujours sombre mais
agitée par un courant léger et continu de machines bourdonnantes,
de joueurs, de cd se faisant copier, de programmeurs, musiciens
et graphistes avançant doucement dans la préparation leur
œuvre, qu'ils devront rendre dans les délais impartis. C'est
à dire toujours trop tôt par rapport au moment où l'on s'est
décidé à s'y mettre, après deux jours de fête eux même postérieurs
à de bonnes résolutions. Cela fait plaisir de voir sur les
différents moniteurs des bouts d'effets, de voir la fabrication
d'un dessin que l'on verra projeté le lendemain. De voir
des morceaux de projets, dont la teneur finale sera révélée
d'ici quelques heures. "Mais que nous concoctent-ils ?"
se demande-on. La présentation finale est attendue comme
un dessert. Les aperçus que l'on en y font flotter une aura
de mystère. On remarque qu'untel programme en AMOS notre
propre langage, que tel autre utilise un logiciel auquel
on s'intéresse, qu'un autre groupe de démo-maker venant
de loin à l'air d'être très doué en animation 3D. Que tout
cela sera soumis au cours de la journée aux votes du public.
Qu'ils le font pour nous, pour la "Party" dans laquelle
on est plongée. Que son nom figurera dans la production,
et sera largement diffusée dans les mois à venir si elle
le mérite, portant en elle la mémoire de sa conception :
"Orblivion Party 2", "present at Ukonx 3", et autres "Slashs
Partys". Si l'on en retrouve une plus tard dans un cd ou
chez quelqu'un, on pourra se dire : "j'y étais".
On va faire un tour à la table où s'est installé notre nouvel
ami - il faut bien repasser aux choses sérieuses -, l'espace
d'une demi-heure, le temps qu'il nous présente ce qu'il
a dernièrement découvert comme logiciels intéressant, originaux,
dignes d'attention dans le flot de données prolixe qui s'offre
continuellement à nous. Il en fait de petites démonstrations
d'initiation pour accélérer notre prise en main une fois
qu'on l'aura recopié, sans devoir plonger dans un aride
mode d'emploi. Moment où une personne est contente de montrer
ses compétences, son expérience, où l'autre est heureuse
de les acquérir. Puis un naturel retour d'invitation. Comme
si l'endroit ou sont positionnées nos machines étaient notre
"chez nous" le temps de la party, ou il y a toujours une
chaise de libre. Comme une rave dont tous les participants
seraient consommateurs de drogue et dealers de drogue différentes.
Tout le monde s'intéresse. Sachant que l'on a encore du
pain sur la planche : de nombreuses données à trier, tester,
et copier sur son disque, on s'en va gaiement s'acheter
un café pour cela, ainsi que deux croissants chauds et un
jus d'orange que l'on va poser sur sa table. Les premières
lumières de l'aurore font leur apparition derrière les Velux.
Et l'on commence à faire ses courses dans le dernier Cd
rom récupéré de la main droite, tout en mangeant avec la
gauche. Ce sera le moment précis, dans la bonne odeur du
petit déjeuner et les doigts graisseux, que choisira votre
voisin de table pour nettoyer son moniteur avec un chiffon
et du produit lave vitre, et dans son extrême gentillesse,
d'en faire profiter les vôtres par la même occasion, tout
en vous grondant sur la manière de vous en occuper. Le même
voisin vous aura fait largement profiter de la qualité de
ses écouteurs sans fils infrarouge, pour visionner avec
lui des démos a musique stéréo. Les casques sont assez courants,
permettant une immersion plus totale dans un autre univers.
Les premiers duvets redescendent, l'esprit rivé vers la
journée à venir, rallument leur machine. Les comateux sur
leurs claviers, eux, restent endormis. C'est l'heure des
jeux simples : de petites parties en réseau de South Park,
ou l'on se met à la place de Kenny et d'un autre de ses
"amis" en trois dimensions, qui se bat contre des poules
géantes et d'autres joueurs à coup de boules de neige. Tous
les ordinateurs étant reliés entre eux grace à un réseau
interne, sponsorisé par France Telecom pour l'occasion,
les parties réunissent des postes et des personnes éparpillées
dans toute la salle. Suivre la bataille dans son intégralité
est impossible, même s'il est possible de trouver un endroit
d'où l'on voit une majorité de moniteurs de joueurs. Durant
toute la nuit d'ailleurs, les concours de jeux en réseau
ont fait rage, mais généralement dans un tel silence qu'on
les oublie. Seul un cri de victoire poussé simultané à d'autres
de rage, démontraient à l'occasion que de grands affrontements
avaient lieu, que des civilisations entières se sont créées
et se sont affrontées dans de titanesques batailles.
Les démo-makers rendent maintenant leurs créations. L'indispensable
participant à la baguette au sauciflard et comté de Moldavie
annonce l'approche de midi. Les premières projections ont
lieu. On vote. Ce sera le régime de la dernière journée
: projections, votes, pauses. Jusqu'à la remise des prix.
Un des concours ayant été de dessiner un lapin en vingt
minutes ( le Flash-Rabbit ), son gagnant reçoit une... peluche
de lapin ! Les gagnants de la catégorie reine, la démo,
gagnent un pc complet dernière génération, offert comme
la plupart des autres lots informatiques, par une petite
boutique du coin, dont on applaudit le représentant un minimum
pour ne pas être indécent, et pour qu'il renouvelle l'expérience.
La gagnante des animations en trois dimensions ayant été
un véritable chef-d'œuvre - une réalisation sans faille
d'un cartoon désopilant allant à fond la caisse, d'une qualité
dont on n'imaginait pas qu'une "petite" démo-party puisse
profiter, mais que l'on espérait tout de même - recueille
un concert de mains. Et l'on se quitte rapidement car de
longues heures de routes en attendent beaucoup, que l'on
est épuisé, que la salle va devoir être nettoyée et rendue,
et qu'il est déjà tard... mais en se promettant de se retrouver
l'année suivante.
Une démo-party est l'occasion d'une débauche technique et
technologique à usage récréatif. Les participants sont généralement
assez ouverts d'esprit : ils s'intéressent toujours à tout
ce qu'on leur présente sous la forme de fichiers : culture,
cinéma, livres, histoire, sciences, techniques. Un média
plus attirant que l'école, et plus interactif qu'un reportage.
Tels qu'un passionné de timbre apprend beaucoup par leur
collection.
Des personnes présentes, un quart en fera sa profession,
postulat déjà réalisé pour un autre quart. Un tiers sont
des vieux de la micro, un autre tiers de jeunes débutants.
La moitié ont des Amiga, l'autre des Pc. Un seul et unique
est un "traveller micro". Vivant de peu, de sa machine bricolée,
et surmodifiée ; d'origine espagnole, ne parlant qu'Anglais,
il tourne en Europe de démo-party en démo-party, son disque
dur étant un temple de la scène d'autrefois et des programmes
qui peuvent encore tourner sur sa machine. Il semble être
le plus sage de tous, emportant sous son bras et dans sa
voiture, un univers tout entier.
Je devrais être habitué à tout cela depuis le temps, mais
l'amour de la vie me fait voir le monde à travers les yeux
d'un enfant qui le redécouvre constamment, émerveillé par
ses couleurs, sa folie, son originalité et ses charmes.
Je n'ai fait qu'une seule démo party, mais je me permet
d'extrapoler ce qu'elles sont en général par ma connaissance
des gens, des démos, des machines, de tout ce que j'avais
lu de ces évènements qui se sont révélés vrais, et pour
lesquels j'y suis allé. Toutes ces descriptions ne sont
pas exhaustives, j'aurais voulu présenter encore bien d'autres
aspects, mais il faut bien s'arrêter un jour.
L'informatique et la scène démo ne sont que deux passions
parmi une infinité d'autres. Mais les schémas comportementaux
sont souvent les mêmes : je trouve que rien ne ressemble
plus à deux passionnés de vieilles locomotives qui se rencontrent,
que deux passionnés de techno, de vins, de délicates questions
métaphisicophilomystique, de jeux de société, de vieilles
voitures ou de timbres qui se croisent. Le plaisir pris
à être entre initiés, est indépendant de ce à quoi on est
initié. C'est le plaisir de se sentir fort car on est en
groupe, après avoir pu être pris comme un marginal. Qu'une
réunion ait comme sujet la musique classique, la techno,
un jeu de carte, les maquettes, les comédies musicales,
les Harley Davidson, les films de série Z, les mangas ou
la peinture sur œuf de poule, elles auront toutes un peu
la même âme, qui nous permet de mieux comprendre les envies
et motivations de nos semblables, même si le sujet d'intérêt
est lui, différent.
Doc T-Bo
Photos prises à l'Ukonx
Party 99 / Vesoul